Blessures Pyschologiques

Quand il s'agit de reporters de guerre et traumatismes psychologiques, le silence prévaut encore bien souvent. Les journalistes Marc Belpois et Hélène Marzolf sont parvenus à recueillir quelques expériences et témoignages. Résultat, une enquête de trois pages publiée dans Télérama. 

Peu de journalistes sont encore directement allés poser la question des blessures psychologiques aux reporters de guerre français. Encore moins pour en faire un article. 

Marc Belpois et Hélène Marzolf, ont osé. Résultat, une enquête de trois pages publiés dans Télérama (1), et les interviews de trois journalistes ayant couverts des conflits majeurs : Jean Hatzfeld ( Libération) Dorothée Olliéric (France 2) et Isabelle Lasserre (Le Figaro) sur Le Fil internet de l’hebdomadaire (telerama.fr).

 

Pourquoi avoir choisi de mener l’enquête sur le traumatisme chez les reporters de guerre ?

C’est quelque chose d’un peu lointain pour nous à Télérama, mais j’avais été marqué par un article qui parlait de reporters déprimés ou qui s’étaient mis à boire. Et puis j’ai lu le livre de Jean-Paul Mari (2) qui parlait de soldats qui avaient des souffrances intimes dont ils ne voulaient pas parler. Je n’avais encore vu ça évoqué nulle part. Hélène et moi avons eu envie d’enquêter. 

 

Comment cette initiative a-t-elle été accueillie par les reporters de guerre?

En commençant, je me doutais que j’allais avoir des difficultés à évoquer ce sujet. Il se trouve que je suis tombé sur beaucoup de gens qui ne voulaient pas en parler. Contrairement à Hélène qui a plutôt eu des interlocuteurs prêts à parler.

Mais les témoignages des uns et des autres se recoupaient sur les épreuves qu’ils avaient traversé et la manière dont ils avaient vécu tout ça.

 

Comment les dix ou douze reporters français que vous avez interrogés gèrent-ils les guerre et l’après reportage?

On a vraiment toute une palette de réactions.

En dehors de ceux qui ne nous ont rien dit du tout dès le départ, nous avons eu ceux qui séparent clairement leur vie d’ici et là vie de là bas. L’un d’eux nous a expliqué qu’il parvient à les garder  hermétiquement closes l’une à l’autre. Et les recoupements que nous avons pu faire nous permettent de penser qu’il jamais été ébranlé.

Il y a aussi ceux qui nous ont dit n’avoir jamais vécu le genre de choses évoquées dans ce qui a été écrit sur le traumatisme. J’ai d’ailleurs l’impression que certains refusent d’utiliser la notion de traumatisme, justement parce que cela renvoie à une notion de maladie… Ce qui renvoie ensuite à un besoin de soin ou de thérapie.

A l’inverse, on a aussi eu un reporter de guerre qui a écarté la chose en nous disant que de toutes façon s’il allait voir un psy et qu’il commençait « à tout déballer »…

Il y a aussi eu ceux qui refusent carrément de dire qu’il souffrent parce qu’ils estiment que les problèmes de leurs petites vies ne sont rien à l’échelle de ce que d’autres endurent. Certains rejettent même le sujet avec une telle force que c’en est troublant.

Mais nous avons aussi trouvé des gens qui nous ont parlé très volontiers de tout ça. Sur le site nous avons publié trois points de vue très différents. Celui de Jean Hatzfeld qui nous dit que la guerre, c’est quelque chose qui secoue. Mais il ne considère pas que cela puisse créer un traumatisme. Il trouve même « indécent » l’idée de se mettre en position de victime.

Il y a le cas de Dorothée Olliéric, qui explique qu’elle fait des cauchemars pendant 15 jours après ses retours de mission : ce qu’elle a vécu se mélange à ce qui se rapporte à sa vie de famille. Mais cela lui permet d’évacuer. Pour elle, les choses reprennent ensuite un cours normal.

Et puis il y a la position d’Isabelle Lassère, qui admet avoir subi un traumatisme très fort, et même avoir été consulter. Mais elle estime que personne d’autre n’a à s’en occuper. Son discours, c’est qu’il faut ficher la paix aux journalistes parce que c’est quelque chose qui ne regarde qu’eux. Ils doivent savoir s’arrêter à temps.

 

Avec le recul que retenez-vous de cette enquête ?

Il y a vraiment toute une palette de réactions de la part des journalistes face aux violences de la guerre. Il est impossible de généraliser, mais il me semble aussi, que, lorsqu’il s’agit d’en parler, il y a une différence selon les générations. Les plus anciens sont sans doute plus dans le déni. Mais le métier change. Avec la féminisation et, aussi, avec la perte d’une certaine liberté qui caractérisait les reporters de guerre auxquels on fichait une indépendance royale. Aujourd’hui, ils ne partent plus pendant des mois ; ils ont plus souvent leur rédaction sur le dos ; ils prennent aussi d’autres reportages. Du coup je pense qu’ils sont amenés à s’exprimer beaucoup plus.

 

Propos recueillis par Anne Bourges

 

(1)« Les baroudeurs aussi ont le droit de pleurer », Marc Belpois et Hélène Marzolf, Télérama N° 3116, 5 octobre 2009. 

(2) « Sans blessures apparentes, pourquoi la guerre rend fou »,  Jean-Paul Mari, Robert Laffont , 2008