Retours sur Jeux de Rôles

Des étudiants en journalisme confrontés à la gestion du stress.

Confrontation directe à la violence, travail avec les victimes de catastrophes ou de violence, impact que ces reportages peuvent avoir sur leur vie personnelle et professionnelle… 
Le cursus de la toute nouvelle licence en journalisme de proximité, proposée à Bac + 2/ Bac+3  à l'Université Blaise-Pascal (*), comprend 24 heures de cours pour aborder ces questions, que les journalistes découvrent généralement « sur le tas ».
 

En décembre 2008, ils ont ainsi participé à un jeu de rôle, au cours duquel il leur a été demandé de se mettre dans la peau: soit de victimes et impliqués d'une catastrophe; soit de journalistes en reportage sur ladite catastrophe.

Le scénario catastrophe


Le scénario élaboré par l’Université de Bournemouth et le Réseau Dart pour les Journalistes et le Trauma avait été adapté au contexte d’un match de football de 1re division au stade Gerland : une explosion dans les gradins fait forcément des victimes au début du match. Un communiqué laconique tombe de la préfecture. Les reporters vont sur les lieux. Ils rencontrent : qui un secouriste, qui un supporter blessé, qui un parent inquiet pour son fils dont il n’a pas de nouvelles, qui un responsable de la sécurité qui a quelque chose à cacher…

L’expérience s’est déroulée pendant une heure, dans les escaliers, couloirs et autres espaces publics du Pôle universitaire Lardy, à Vichy. Il s’agissait de recréer au mieux un environnement de travail en mouvement, ponctué de passages et de regards curieux.
 Un débriefing collectif invitait ensuite les étudiants – pseudo impliqués ou pseudo journalistes - à faire part au groupe de ce qu’ils avaient ressenti, et à partager des enseignements qui pourraient être utiles aux autres étudiants.



L’expérience pour deux groupes de huit étudiants 

Cette expérience de formation est encore peu - ou pas - pratiquée chez les étudiants en journalisme de France. 

Les étudiants ont spontanément endossé la peau du personnage sur lequel nous ne leur avions pourtant donné que  quelques indications factuelles et comportementales. Larmes, gêne, gesticulations, mutisme, boiterie… Les interprétations étaient saisissantes, y compris chez les plus timides.

Et les 45 mn de débriefing qui ont suivi n’ont pas suffi à purger toutes les réflexions et questions issues de l’expérience ! Ceux qui avaient un rôle de journaliste ont évoqué des choses qui les ont déstabilisés, alors qu’il pensaient maîtriser l’interview: téléphone portable qui sonne, interruption d’un groupe qui les oblige à se déplacer alors que le lien vient enfin d’être établi avec un personne en détresse… Ceux qui jouaient les victimes ont, de leur côté, été en mesure d'expliquer ce qui les avait interpellées, rassurées ou indisposées durant l'interview…

Quelques mois plus tard, nous avons voulu savoir si l'exercice avait été utile en leur demandant ce qu'ils avait retenu de l'expérience.

Trois mois plus tard, ce qu’ils en ont retenu.

Nous leur avons don fait passer un questionnaire au semestre suivant.

Trois seulement ont répondu. Ce faible taux de réponse s'explique en partie par leur emploi du temps très chargé à ce moment-là.

Mais tous ceux qui ont répondu ont trouvé l’exercice "enrichissant", voire "très enrichissant". Même ceux qui avaient un a priori négatif.

Nous avons en effet découvert que certains le redoutaient cet exercice. Mais au final, aucun ne regrette l’expérience.

Chacun y semble y avoir trouvé quelque chose d'utile et d'adapté à sa situation personnelle.

Emeline, qui a depuis obtenu un contrat à durée déterminée au quotidien la Montagne, explique par exemple que la simulation lui a permis de se confronter à ses propres capacités et limites.  « Partir en ne sachant pas exactement sur qui j’allais tomber et par conséquent, comment j’allais pouvoir me débrouiller pour récupérer les informations que je cherchais. C’était une expérience très enrichissante dans le sens où elle faisait appel à nos capacités d’improvisation et de réaction à chaud. Il fallait tenter de comprendre rapidement à qui on avait à faire de façon à être le plus efficace possible. De plus, il fallait récolter le maximum d’information dans un temps donné. Tout en veillant à ne pas brutaliser la personne quel ’on avait en face de nous, de façon à obtenir le plus de renseignements possible (dans mon cas, une personne impliquée et sous le choc). »

« Cette mise en situation m’a permis d’être confrontée, pour la première fois, à quelqu’un qui détenait une information mais qui était trop choqué pour penser à me la donner. Il a donc fallu que je trouve un moyen pour faire parler mon interlocuteur, sans le brusquer puisqu’il ne fallait surtout pas que je le bloque et qu’il refuse de continuer à me parler. C’est quelque chose que nous avions déjà abordé en cours, mais la simulation m’a aidé à me rendre compte de la difficulté de l’exercice. J’ai parfois eu envie de secouer très fort la victime pour la faire reprendre ses esprits ! »

L’échange qui a suivi a également permis aux étudiants de se rendre compte, de manière très concrètre, de l'impact du stress sur la qualité de leur interview. "Bêtement, une partie d’entre nous avait oublié, dans l’urgence, de demander l’identité de la personne à qui ils s’adressaient. C’est une erreur qui nous aurait pénalisés si nous avions vraiment été sur le terrain. »

Pour Marion, le moment clef reste le face à face avec une « victime ». « Même si il s’agissait d’une camarade, j’ai pu me rendre compte de l’importance de la manière dont on aborde une victime, et de mes points faibles, par rapport à nos réactions. »

Géraldine en a aussi profité pour mesurer l'efficatité de petits trucs qui avaient été proposés, durant le cours, pour tirer le meilleur parti possible d'un entretien avec une victime et pour éviter de se laisser déstabiliser. « Le cours m’a permis d’apprendre comment arriver sur le lieu d’un événement, en sachant quoi chercher, comment m’y prendre et comment aborder les personnes présentes. Les victimes ne doivent pas être brusquées mais nous ne sommes pas non plus là pour les consoler »

Parmi les enseignements de ce tupe qu’Emeline a retenu : l’importance du langage corporel. « La personne impliquée à qui je m’adressais était assise sur une marche d’escalier. Instinctivement, je me suis assise en dessous d’elle. Lors de l’échange, j’ai compris que c’était une bonne réaction car je m’étais mis « à la hauteur » de mon interlocuteur. »

Leur conclusion sur ce mode d’enseignement est donc plutôt positive. « Il est toujours plus intéressant de pratiquer que de prendre des notes. Nous nous rendons compte nous-mêmes de nos erreurs et nous retenons mieux », estime Géraldine. « L’expérience était dynamique et concrète. On s’est investi entièrement. Le jeu de rôle était amusant mais aussi éducatif. »

Rien ne permet, bien entendu, d’imaginer que l'on peut efficacement préparer de futurs journalistes aux drames humains : un jeu de rôle ne saurait prétendre être à la mesure de la réalité. Mais le retour d’expérience montre que les étudiant y ont trouvé des pistes de travail, quelques faiblesses, un peu de modestie… Bref de quoi plier sans casser au moment d’embrasser une profession qui peut leur réserver bien des surprises.

Par : Anne Bourges, journaliste au quotidien La Montagne, intervenante à l’Université Blaise Pascal, dans le cadre de la licence professionnelle en Journalisme de proximité (Clermont-Ferrand).