Le risque traumatique : prévenir et détecter les blessures psychiques

Le traumatisme psychologique peut toucher tous les journalistes qui évoluent en zone dangereuse et/ou qui rendent compte d'événements impliquant des populations affligées par des deuils, des violences ou des pertes graves.

Élaboré par le Réseau Dart pour les journalistes et le trauma (Dart Centre), ce guide d’introduction au traumatisme propose des outils pour détecter, comprendre et prendre en charge la blessure psychique chez les journalistes. L'intégralité de cette fiche pratique peut être téléchargée sur le site de Reporters sans Frontières.

PRENDRE CONSCIENCE DU RISQUE DE TRAUMATISME

Le traumatisme psychologique peut toucher tous les journalistes qui évoluent en zone dangereuse et/ou qui rendent compte d'événements impliquant des populations affligées par des deuils, des violences ou des pertes graves.

De récentes études le confirment : les professionnels des médias sont tout aussi susceptibles de développer des blessures psychiques que les soldats, les pompiers ou les autres témoins directs des tragédies. Une étude réalisée en 2002 par le spécialiste en neurosciences Anthony Feinstein a ainsi conclu que 28,2 % des correspondants de guerre avaient développé un état de stress post-traumatique à un moment ou à un autre de leur carrière d’une quinzaine d'années en moyenne. D’autres études font état de niveaux moins élevés mais non négligeables de troubles chez des journalistes traitant d'événements nationaux courants.

La prise de conscience de ce risque traumatique est essentielle pour garantir un travail journalistique efficace et indépendant. A défaut, la sécurité du reporter, son jugement professionnel, voire sa carrière, peuvent être affectés.

QU'EST-CE QU'UN TRAUMATISME PSYCHOLOGIQUE

Les spécialistes de la santé mentale estiment qu'un événement peut être «traumatique» lorsqu'un individu éprouve un sentiment intense de peur, d'impuissance ou d'horreur après avoir été confronté à la mort ou à un risque de mort imminente ; à de graves blessures ou à une menace d’atteinte à l’intégrité physique, ceci pour lui ou pour autrui. Les bombardements, les agressions violentes, les viols, les tortures, les conséquences de catastrophe naturelle ou les accidents graves, situations que les journalistes côtoient régulièrement, entrent dans cette catégorie. 

La présence physique sur les lieux du drame n’est pas déterminante

Ces réactions trouvent leur origine dans un mécanisme naturel de défense. Lorsqu’il capte ce qu’il perçoit être une menace, le cerveau sécrète des hormones, dont l’adrénaline. Mais chaque individu réagit différemment. Et ce mécanisme de défense et de survie peut notamment induire :

  • Une hyper-vigilance avec une augmentation de l'acuité sensorielle.
  • Des réponses de défense ou de fuite (augmentation de la fréquence cardiaque, sécheresse de la bouche, perte de contrôle de l’intestin, sueurs, etc.).
  • Un engourdissement et un sentiment de dissociation (l’individu a l'impression de voir l'événement se dérouler comme un film dont il ne fait pas partie).
  • Une émotivité accrue.

Ces réactions sont normales et parfois nécessaires à la survie. Elles se dissipent généralement durant les quelques jours ou semaines suivant l’incident.

Il arrive cependant que ces réactions et l’angoisse qui les accompagne persistent. Le sujet peut se sentir transformé par l'épreuve qu'il a subie et évoluer vers des symptômes spécifiques :

  • Souvenirs intrusifs : cauchemars, flash-back et autres rappels plus insidieux de l’événement traumatisant.
  • Hyper-réactivité, réaction excessive face aux événements quotidiens, problèmes de concentration, irritabilité, accès inhabituels de colère ou de rage.
  • Emoussement de la réactivité générale avec restriction des affects (par exemple incapacité à éprouver des sentiments), sentiment d’avenir bouché et/ou modification du mode relationnel à soi et aux autres.
  • Intolérance à certaines perceptions sensorielles (bruits, odeurs, images…), depuis l’événement traumatique et/ou réactions d’évitement persistantes de tout ce qui rappelle l’événement traumatisant.

Si ces troubles persistent durant un mois ou plus, ils peuvent être révélateurs d’une possible blessure psychique. 

Les psychologues définissent «l'état de stress post-traumatique» (ESPT ou PTSD en anglais) comme un état associant intrusion, hyper-éveil et émoussement des affects. Mais d’autres modifications du comportement peuvent apparaître : évolution sur le mode dépressif, angoisse récurrente, abus d’alcool ou de drogue, etc.

Il est impossible de prévoir la survenue des troubles. Même les reporters expérimentés, considérés comme solides sur le plan émotionnel par leurs collègues, peuvent un jour être concernés. Pour autant, l’ESPT n’est pas une fatalité. Il existe des prises en charge efficaces. Des études montrent que l’individu peut aussi renforcer sa capacité à y faire face moyennant quelques précautions.

SE PROTEGER

Pour la protection des journalistes, des mesures pratiques peuvent être mises en oeuvre avant, pendant et après chaque mission.

Avant de partir en mission

  • Formez-vous et préparez-vous : des formations d'ordres divers et une initiation aux risques psychotraumatiques permettent de mieux se protéger, de minimiser le stress et d’augmenter la capacité d’adaptation à l’impact traumatique.
  • Identifiez vos alliés : contactez des personnes sur place, de manière que votre réseau soit déjà en place.
  • Passez le terrain en revue : évaluez les risques ; demandez au préalable à vos collègues de vous décrire les conditions dans la région.
  • Préparez une liste de personnes à contacter en votre nom : désignez une personne qui sera votre contact pour des questions logistiques ou en cas d’urgence.
  • Préparez-vous physiquement : une bonne condition physique contribue à une meilleure résistance au stress.
  • Ne négligez pas votre vie personnelle : passez du temps avec votre famille, vos amis et vos proches. Mettez de l’ordre dans vos finances et assurez-vous de communiquer à vos proches les détails concernant votre assurance-vie, votre testament, etc.

Une exposition répétée à des événements dangereux ou traumatisants, sans un repos préalable suffisant augmente considérablement le risque de ESPT. Si vous vous sentez contraint de partir, si vous avez le sentiment que ce n’est pas le bon moment, ou si vous n’êtes simplement pas prêt sur le plan émotionnel, envisagez de refuser la mission.

Pendant la mission

- Prenez soin de votre corps :

Mangez et dormez bien.

Faites de l’exercice : 30 minutes d’étirement musculaire ou de marche suffisent.

Buvez de l’eau : la déshydratation nuit aux fonctions cérébrales.

Surveillez votre consommation d’alcool : l’abus d’alcool favorise les cauchemars et flash-back.

Attention aux stimulants : la caféine fait grimper le taux d’adrénaline.

- Prenez en compte vos besoins affectifs :

Adoptez des rituels quotidiens simples pour faire un break : lire, faire de l’exercice ou bricoler.

Soyez à l’écoute de ce que vous ressentez : confiez-vous ou essayez d’écrire un journal…Ne sous-estimez jamais l’importance du rire.

Essayez les exercices de respiration, surtout si vous êtes angoissé.

Efforcez-vous de voir les situations négatives sous un angle positif : sans ignorer ce qu'il s'est passé, il faut inclure dans le compte rendu les éventuels aspects positifs.

Concentrez vos efforts sur ce que vous pourrez mener à bien; ressasser les échecs rend plus vulnérable au traumatisme.

Entretenez des relations sociales et soyez à l'écoute des autres.

Accordez-vous et donnez à vos collègues suffisamment de temps pour se remettre. Si une personne a du mal à faire face, conseillez-lui de se concentrer sur des tâches simples plutôt que d’arrêter complètement de travailler.

- Comprenez vos sources :

Être conscient de l’impact que peut avoir un événement traumatisant sur les individus peut vous éviter des erreurs journalistiques. Certaines victimes sont si touchées que leurs témoignages contiennent des erreurs dont elles n’ont pas conscience, alors que d’autres ont des souvenirs d’une précision presque photographique.

Après la mission

Laisser la mission derrière soi est souvent ce qu’il y a de plus difficile. Les reportages qui suivent peuvent sembler futiles. Parfois, le journaliste se sent coupable de laisser derrière lui des gens qui sont toujours en danger ou dans le besoin. Ces réactions sont courantes et il peut être utile d'en parler. Mais partager ce que l’on a vécu avec des personnes extérieures peut aussi poser d’autres problèmes. Certains risquent de mettre rapidement fin à une discussion qui leur est pénible ; d’autres minimiseront les faits ; tout le monde ne saura pas écouter… Le journaliste peut lui-même hésiter à parler de sujets qui pourraient pousser sa famille ou ses amis à s’inquiéter de sa sécurité. 

Voici donc quelques conseils pour mieux gérer l’après-mission :

  • Certains journalistes suggèrent de prendre un ou deux jours de congé pour « décompresser ».
  • Si vous êtes resté en mission pendant une longue période, des choses peuvent avoir changé dans la vie de votre entourage et vous ne retrouverez peut-être pas les choses telles que vous les aviez laissées à votre départ. Si penser à la vie que l’on a chez soi est très motivant lorsque l’on voyage, il convient de rester objectif quant à ce que l’on espère trouver au retour.
  • Établissez des liens avec des personnes qui ont vécu des expériences semblables aux vôtres et avec lesquelles vous pourrez discuter ou simplement vous distraire sans avoir à vous expliquer.
  • Faites le bilan de votre situation personnelle et de votre état psychologique. Il n’est jamais trop tard pour se faire aider.

NOTE À L’ATTENTION DES DIRECTEURS ET DES REDACTEURS EN CHEF

Un protocole de gestion du risque psychotraumatique efficace peut avoir un impact extrêmement positif sur le bien-être et la performance de vos équipes. Il vous incombe, en qualité de directeur ou de rédacteur en chef, de vous informer en matière de stress traumatique et de mettre en place les moyens de minimiser son impact. Pour bénéficier de ressources et d’informations utiles, contacter le Réseau Dart pour les journalistes et le trauma à www.dartcentre.org.